mercredi 15 juin 2011

Pourquoi ? La question qui tue..

La question à ne jamais poser quand on veut essayer de comprendre le fonctionnement des relations internationales est bien celle-ci : "pourquoi?". D'abord parce que c'est trop facile de vouloir comprendre quelque chose qui nous échappe par définition. Mais également parce que la volonté de comprendre rejoint celle de se forger une sorte de représentation du monde. Ce qui amène inévitablement à une dialectique sans fin de la complexité des choses mais également de leur insignifiance au regard d'une posture totalement cartésienne qui voudrait que chacun, les plus novices comme les experts, puisse adhérer à une explication qui n'aurait pour conséquence que d'embrouiller davantage encore les esprits les plus interrogatifs sans même bénéficier d'une meilleure approche de la thématique envisagée. 


La question du "pourquoi" n'est autre que celle du néant. Prise de façon isolée, elle demeure relativement inoffensive et peut même dénoter chez son auteur une volonté sincère de comprendre. Certes. Mais répétée à foison, elle initie un processus amenant immanquablement au constat  tragique de l'inanité de l'existence de systèmes étatiques et de leurs corollaires relationnels. Si l'on pousse le bouchon encore plus loin (dans l'eau.. vous noterez que le bouchon revient toujours à la surface.. quel que soit la volonté d'approfondissement de l'objet dans l'eau..), on pourrait appliquer cette théorie de l'inanité à l'existence en tant que telle.. Mais ce n'est pas (encore) notre sujet. 


Tentez l'exercice suivant: rejoignez une conversation au hasard. Et n'ayez comme seul vocable disponible le mot "pourquoi" chanté sous sa forme la plus interrogative. Quelle que soit la réponse de votre interlocuteur, essayez de poursuivre le dialogue au son du seul "pourquoi". Alors bien évidemment, vous risquez d'agacer votre partenaire. Mais s'il ne montre aucune lassitude, ou ne vous offre bien volontairement aucune munition gracieusement déposée par arme à feu dans votre cerveau érudit, n'hésitez pas à poursuivre l'exercice. Et vous verrez qu'au bout d'un certain temps, vous allez installer, sur l'ensemble des propos qu'il vient de tenir, pour ne pas dire de sa pensée, un profond doute dans son esprit. Non pas dans le sens où ses réponses manqueraient de légitimité ou d'exactitude purement factuelle. Mais dans le sens purement existentiel.


Prenons l'exemple d'une conversation banale. Une mère amène son fils au football. Sur les abords du terrain, elle discute avec la mère d'un ami de son fils. Vous en interrogez une : "Votre fils aime pratiquer ce sport.. Pourquoi?". A partir de là, toutes sortes de réponses sont envisageables. Mais peu importe les premières réponses. On vous dira que le football est un moyen de faire du sport une fois par semaine, de retrouver des copains qui ne sont pas tous dans la même classe ce qui élargit le champs relationnel de l'intéressé, que le sport est indispensable au maintien physique et qu'en faisant du sport, contrairement à ce que beuglait Churchill, entre deux whiskies, le sport, comme le ridicule, ne tue pas. Bien au contraire. Dieu merci. God save the Queen. Bref. Arrive la question suivante, faisant écho à l'utilité du sport dans une vie. Pourquoi ? Pour vivre plus longtemps et mieux. Pourquoi ? Pour profiter de la vie qui nous est donnée. Pourquoi ? Parce que la vie est belle. Pourquoi ? Et ainsi de suite. Jusqu'au fatidique "Vous en avez vous des drôles de questions. Qu'est ce que j'en sais moi ?". Nous y voici. L'existence même se retrouve donc sous le feu d'un questionnement qui n'amène de fait que des réponses toutes faites mais ne répondant pas réellement à la question de savoir "pourquoi". 


Ce que j'écris en disant ceci n'a rien d'original. Mais cette thématique du sens (et non pas la signification) des choses et du sens de l'existence est rarement abordée par nous autres profanes. Les philosophes s'en emparent régulièrement. Mais le quidam rarement. A moins d'avoir bu quelques verres bien chargés en fin de soirée, nous posons-nous cette question tous les jours ? Jamais. Vous vous levez le matin. Il est 7 heures. Pourquoi ? Pour aller au travail. Pourquoi? Pour gagner votre vie. Pourquoi ? Pour nourrir votre famille. Pourquoi ? Pour qu'ils ne se retrouvent pas à la  rue. Pourquoi ? Pour qu'ils ne meurent pas à l'âge auquel meurent les plus démunis, c'est-à-dire bien avant la date de péremption généralement constatée chez un individu vivant en Occident. Pourquoi ? Pour vivre le plus longtemps possible. Pourquoi ? Parce qu'on a qu'une vie bordel ! Voilà ! La réponse qui peut faire tanguer le raisonnement. Pourquoi  a-t-on qu'une seule vie.. Etc.  Ce que je veux dire par là, c'est que n'importe quel sujet se transforme inévitablement en dégât collatéral du "pourquoi". Le travail. Le capital. L'environnement. La santé. Les relations humaines. Les relations internationales. 


Prenons l'exemple du conflit israélo-arabe. C'est un conflit sans fin. Chaque partie campe de facto peu ou prou sur ses positions. C'est le tango argentin version moyen-orientale. Un pas en avant, deux pas en arrière, on tourne les têtes, on évite l'autre, on le rejette mais on le récupère car sans l'autre, on n'est rien. Imaginez maintenant discuter de ce sujet de politique internationale. Et recommencez à distribuer du "pourquoi" à chaque fin de phrase. Attention, cette fois vous risquez vraiment de provoquer un conflit armé avec vos questions débiles. Mais vous êtes courageux. Alors allons-y. Ne commencez pas tout de suite par un "Pourquoi voudriez-vous qu'il y ait un jour la paix au Moyen-Orient ?". Vous risqueriez d'offusquer l'ensemble de vos interlocuteurs. Il y aura bien un kamikaze pour répondre que la vente d'armement est un business auquel il serait difficile de renoncer quand on s'appelle Dassault, Raytheon ou Lockheed Martin. Mais je pense que son gilet par balle en kévlar ne résisterait pas longtemps aux assauts d'amabilité balistique dont il serait la cible. 


Donc.. "Pourquoi vous faites vous la guerre ?". Pour défendre notre territoire. "Pourquoi ?" Parce qu'il est a nous. Pourquoi ? Parce que nous sommes le peuple élu. Pourquoi ? Parce que c'est écrit dans l'Ancien Testament. Etc.. Puis à la question inévitable du "Pourquoi êtes-vous plus légitime que les autres à vivre sur cette terre?", on vous sortira des raisons historiques mais dont tout le monde sait qu'elle n'a pour seul fondement que celui du rapport de force et de la realpolitik. Par conséquent, toute négociation dans ce type de conflit rempli de composantes affectives est voué à l'échec. Et ne pourra aboutir qu'à un conflit meurtrier dévastateur. Mais pas avant d'avoir grassement rincé tous les diplomates qui depuis 50 ans doivent leur fiche de paie à ce conflit. Alors si ce conflit est dévastateur, quel est le sens de tout ceci ? S'il ne l'est pas.. quel en est le sens également ? Les relations internationales aboutissent de fait soit  à des catastrophes, à des conflits, à des statu quo, soit à des accords de paix qui n'ont pas d'autre alternative que d'aboutir un jour ou l'autre sur une guerre. Donc sur la fin de l'existence. Alors pourquoi ? La croissance économique due aux améliorations technologiques engendrées par les conflits ? Certes. Kennedy l'a montré dans son fameux "Naissance et déclin des grandes civilisations". La mainmise de puissances dominantes sur d'autres moins évoluées ? Certainement. Mais croissance et mainmise pourquoi ? Pour vivre mieux que les voisins ? Pourquoi ? Et nous revoici revenus à des considérations existentielles où l'on mélange textes bibliques censés renvoyer à une vision morale de la vie et justifications de la guerre juste façon Saint-Augustin. Pendant ce temps, la terre tourne, l'heure avance et la vie s'arrête dans beaucoup de contrées où l'on considère que la chose politique et géopolitique est de facto et de jure placée au-dessus de considérations humaines et individuelles. Pourquoi ? ... 



2 commentaires:

  1. la réponse est donnée dans le film nommé "Rubber" (conseillé par fafa), qui compte l'histoire d'un pneu tueur :
    "because there's just no reason, life is full of no reason"

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  2. En effet ! j'avais zappé ce film. Excellent.. une fois effacé.. Oh zut des pneus me sautent à la gorge !! argh !!! ;p

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